"L'OL, c'est mon club"
LOUIS NICOLLIN, 68 ANS, DIT "LOULOU", EST LE MYTHIQUE PRESIDENT DE MONTPELLIER DEPUIS 1974. CE PUR LYONNAIS RACONTE SA JEUNESSE, QUAND IL SUPPORTAIT L'OLYMPIQUE LYONNAIS. INTERVIEW CULTE.
Dans quel cadre familial avez-vous grandi ?
Louis Nicollin : Mes parents - Marcel, mon père, et Paulette, ma mère - étaient marchands de charbon? J'étais fils unique. Comme ça, on ne se dispute pas... Au départ, j'ai plus été élevé par ma grand-mère à Saint-Paul-lès-Romains dans la Drôme, que par mes parents. Puis on a habité dans une maison à Saint-Fons. Et en 1948 à Lyon, quand il y a eu les grandes grèves sur les ordures ménagères, Edouard Herriot a réquisitionné tous les camions à Lyon. Et la seule personne qu'Herriot a remerciée pour son aide, c'était mon père ! Du coup, on a commencé à faire les collectes à Lyon et on s'est bien démerdés. Résultat, j'ai jamais été malheureux. A 18 ans, j'avais ma première voiture.
Et à l’école, vous étiez comment ?
Branleur. Tu sais quand on a un père qui s'est élevé avant toi...
Vous avez eu le bac ?
Ah non ! Je l'ai pourtant passé trois fois. Mais attention, à chaque fois j'avais la moyenne, hein ! La dernière année, j'ai même eu plus de 12. Seulement comme j'étais au cours Pascal, un établissement privé en centre-ville, l'Académie ne voulait rien savoir car j'avais zéro en français à chaque fois.
Pourquoi vous aviez zéro ?
Parce que ça me faisait chier. La vie de Chateaubriand ou de tous ces cons, moi, je m'en bats les roustons... Du coup, à chaque fois je préférais raconter un match de l'OL contre Nice ou Troyes ! Mas ça n'a jamais convaincu les examinateurs, qui m'ont toujours mis zéro...
Vous saviez ce que vous alliez faire plus tard ?
Oh, rien à branler. Moi, j'ai conduit les camions de mon père, j'ai vidé les poubelles, voilà... puis, le jour où j'ai raté pour la troisième fois le bac, mon père en a eu plein le cul et m'a dit : " Maintenant faut que t'ailles un peu travailler quand même. " Ça m'a permis de ne pas aller à la guerre d'Algérie, c'était déjà pas mal.
Tout de suite vous travaillez donc dans le groupe Nicollin ?
Ah ouais, je me régalais moi, depuis l'âge de 1- ans pendant les vacances scolaires. Ça me permettait d'avoir une paye d'ingénieur, comme ça...
Vous vous souvenez de vôtre premier match à Gerland ?
Ouais. Ça devait être Lyon-Troyes en 54-55. Je revois bien les maillots les maillots de l'AS Troyes. A l'OL, il y avait Hjamarsson, Jensen aussi, qui avait joué à Troyes d'ailleurs.
Dans quel tribune vous alliez ?
J'étais derrière les buts sur les chaises. On louait les chaises à une bonne femme. Alors si t'arrivais de bonne heure, ça allait, t'étais juste derrière. Mais si tu débarquais un peu tard, fallait te démerder et te mettre debout sur les chaises. Quand ces places ont disparu, je suis allé en tribune Jean Jaurès. Et avec mon père, le dimanche soir, on achetait le "jaune", l'édition du Progrès vendu en soirée pour connaître le résultat de l'OL, qui avait joué à 15 heures. D'ailleurs aujourd'hui, ces "jaunes", j'en cherche partout, j'arrive pas à en trouver.
"Il y'avait Schwinn aussi. Malheureusement il est mort intoxiqué dans sa voiture en tirant une gonzesse, faut vraiment être con !"
Et le foot devient donc vôtre grande passion ?
Non, moi j’aimais tous les sports. Ma première passion, c'était le Tour de France. J'admirais Anquetil et un grand coureur cycliste lyonnais, Jean Forestier, qui a gagné le Tour des Flandres, Paris-Roubaix... Il est de Saint-Fons, comme moi. Mais j'allais aussi voir l'Olympique Lyonnais dès que je pouvais. Puis, comme j'ai commencé à avoir des copains qui jouaient à l'OL, automatiquement, je suis devenu beaucoup plus supporter.
Qui étaient ces copains ?
Fleury Di Nallo, Jean-Louis Rivoire, Jean Dumas, Robert Nouzaret, Jimmy Pistilli malheureusement mort depuis, qui a fait deux matchs en pros quand même... Pistilli jouait à l'OL depuis l'âge de 13 ans et a gravi tous les échelons. Il était le grand ailier gauche de l'équipe Gambardella du club avec Fleury. Jasseron (Lucien Jasseron, coach à l'OL de 1962 à 1966) l'a mis arrière. Il est rentré, il a joué deux matchs. Et au 2e, il s'est cassé la jambe... Jean Dumas, à 20 ans, s'est aussi fracturer la jambe contre Lisbonne (en demi-finale de la Coupe des Coupes 1964). Sinon, il aurait été l'un des plus grands joueurs de l'OL. C'était un phénomène. J'étais tout le temps avec ces joueurs.
Mais comment vous êtes devenu pote avec eux ?
Parce qu'ils étaient au cors Pascal avec moi. Sauf Di Nallo, qui n'a pas été à l'école. Avec Dumas et Pistilly, on jouait ensemble dans l'équipe de l'école. Moi, j'étais arrière droit. On a été champions scolaires pendant cinq ans, on était les meilleurs. Du coup, je connaissais tous les autres joueurs de l'OL : Le Borgne, Duffeyz, Mignot, Polak... Il y avait Schwinn aussi. Malheureusement il est mort intoxiqué dans sa voiture en tirant une gonzesse, faut vraiment être con ! Et puis il y avait Nestor Combin, qui vit à Montpellier maintenant, et que je connais bien. Un grand, grand, grand joueur. Mais je pense que s'il avait été sérieux, ça aurait été un super grand. Seulement, on sortait le samedi soir jusqu'à 1 heure du matin au BC Blues, place Carnot. Alors que le match était à 15 heures ! Ça, c'était unique. Le BC Blues il était en feu à chaque fois qu'on y allait. Et puis moi, j'étais toujours fourré à la brasserie l'Ours Blanc chez la mère Toutain, cours Charlemagne, un restaurant devenu le fief des supporters et des joueurs de l'OL. Elle faisait bien à manger. Et y avait des gonzesses à tirer, c'était sympa. Bref, je suivais le club de plus en plus et je suis monté à Paris pour voir la première finale de Coupe de France de l'OL en 1963 contre Monaco.
Que Lyon perd 0-2.
Non, l'OL fait match nul et perd le deuxième match. C'est pas tout à fait pareil...
Vous avez assisté aux deux matchs ?
Mais bien sûr que j'ai assisté aux deux matchs ! J'avais même une banderole "Pas de grâce pour Monaco !" (Jeu de mot évoquant la princesse Grace de Monaco) Je l'avais faite avec mes copains de Saint-Fons. On avait pris le train, et c'est là que j'avais vu un type extraordinaire, Louis Pradel, le maire de Lyon. En bon politique, il était passé dans tous les compartiments, il m'avait marqué ce mec. Après un nul 0-0, le match a été rejoué la semaine suivante. On a remis ça. Là on a perdu.
Comment vous avez vécu cette défaite ?
Thadée Polak a raté un pénalty. Bon, je pense qu'ils étaient peut-être plus forts. Mais la finale avait eu lieu au stade de Colombes, c'était sympa quand même.
Puis l'année suivante en 1964, l'OL revient en finale et bat Bordeaux 2-0.
Oui et je remonte, pardi. Facile là, y'a pas eu de match. C'était une grande joie de vivre la première victoire du club. C'était vraiment exceptionnel parce qu'on ne savait pas ce que c'était gagner à Lyon à ce moment-là. Comme nous à Montpellier quand on a gagné la Coupe de France en 1990. Les joueurs sont revenus le lendemain. J'étais à Perrache pour les accueillir où il y avait vraiment du monde. Je me souviens que j'étais ensuite allé les attendre au Progrès de Lyon, rue de la République, parce que mon père était copain avec le directeur du journal. J'étais sur la terrasse du Progrès avec eux. J'ai des photos. Si tu vois la collection de photos que j'ai sur l'OL, tu meurs ! La même saison - c'est là que Jean Dumas a été très, très fort - on se fait voler la demi-finale de Coupe d'Europe contre ces empaffés de Portugais comment ils s’appelaient déjà ?
Le Sporting Lisbonne.
Voilà. On s'est fait voler, carrément.
Vous suivez donc aussi l'OL en Coupe d'Europe ?
Mais bien entendu. Dans les poubelles, on a les moyens ! J'en ai plein de souvenirs européens. Mais mon plus grand, c'est à Tottenham (en 1967-1968), où Bouassa a marqué le 4ème but et on a perdu 4-3, un score qui nous qualifiait (l'OL avait gagné 1-0 à l'aller à Gerland).
"Si j'ai moi-même crevé des pneus à des stéphanois ? Je me suis gêné ! (...) On allait à Gerland à pied avec un outil pour percer les pneus."
Mais entre-temps, avec le départ de Combin en 1964, le niveau de l'équipe va baisser.
Pas beaucoup puisqu'en 67, on va gagner la Coupe.
Mais justement, quand Di Nallo évoque cette victoire, il affirme que c'est un miracle car c'est la pire équipe de l'OL dans la quelle il a joué.
Il dit ça parce qu'il a gagné à la pièce en demi-finale contre Angoulême après trois matchs nuls. J'ai fait le dernier d'ailleurs, à Marseille.
Vous êtes aussi à la finale contre Sochaux ?
Bien sûr. Avec le président de la République Charles de Gaulle. Là, je suis bien placé. J'ai bien vu de Gaulle renvoyer le ballon qu'il avait reçu dans la tribune. Certes , comme dit Fleury, on a eu du cul pendant nôtre parcours, mais contre Sochaux, on a été faciles (victoire lyonnaise 3-1)
Vous avez encore fêté ça à Lyon ?
Non, pas trop, parce qu'à cette époque, je pars travailler à Montpellier. En effet, comme je ne veux plus voir la gonzesse qui a débuté une affaire là-bas. Et j'arrive à Montpellier, une ville terrible. Que des étudiantes, popopo... putaiin, j'avais rarement vu une ville comme ça... Pourtant à Lyon, crois-moi qu'on en a fait des coups, hein ! Mais Montpellier... (Il siffle) Ah dis-donc, on couchait rarement seul le soir !
A Montpellier, entre 1967 et 1974 quand vous créez la Paillade, comment vous suivez l'OL ?
Je les suis chaque fois qu'ils viennent à Nîmes, où ils prennent d'ailleurs des casquettes, et ça m'emmerde. Et de temps en temps, s'il n'y avais pas trop de boulot, je montais à Gerland voir des matchs.
Vous ne ratez aucun derby par contre ?
Pratiquement, oui. A Saint-Etienne comme à Lyon. Et moi, j'ai connu Saint-Etienne qui ne nous mettait que des tannées. J'en ai assisté à une à Gerland : 7-1 pour Saint-Etienne (en Octobre 1969), ça faisait mal...
La domination stéphanoise, c'était dur à vivre parce qu'on est éduqué tout jeune à Lyon pour être l'ennemi des Verts. Quand t'allais à Saint-Etienne, tu te faisais crever les pneus des voitures. Donc quand ils venaient à Lyon, tu leur crevais aussi leurs pneus.
Vous avez vous-même crevé des pneus à des stéphanois ?
Je me suis gêné ! Je l'ai moi-même subi deux fois à Geoffroy-Guichard. Alors nous, on allait de Saint-Fons à Gerland à pied avec un outil qu'on avait récupéré la veille à l'atelier mécanique et qu'on avait bien affiné pour percer les pneus. Mais c'était la coutume : on ne se foutait pas sur la gueule mais on crevait les pneus des voitures. C'était marrant d'ailleurs.
Durant toutes ces années, vôtre idole, c'est Fleury Di Nallo ?
Ah oui, oui, oui. Il démarre en 60-61, il vient du Rhône Sportif. Di Nallo, je ne vous donnerai qu'un exemple à son sujet : quand on a battu Saint-Etienne 3-0 en 1971 en match retour de Coupe de France après prolongations. On avait perdu 2-0 à Geoffroy Guichard à l'aller où javais été d'ailleurs. Fleury a marqué les trois buts. Putain, l'idole que c'était, là.
Puis au début des année 1970, deux petits nouveaux débutent : Serge Chiesa et Bernard Lacombe.
Serge Chiesa, dès qu'il a signé, j'ai vu que c'était un joueur à part, c'est la seule fois que j'ai ressenti ça. Lui, vraiment, c'était la grande classe. Lacombe, c'était la classe aussi, mais bien en dessous. En plus Chiesa est adorable. Je l'ai revu il y a trois-quatre ans à Clermont pour un match de la Paillade. Il y avait d'ailleurs Fleury ce jour-là. On ne pouvait que parler de l'OL tous les trois, hein !
Alors, c'est qui le plus fort dans l'histoire de l'Olympique Lyonnais entre Di Nallo, Chiesa et Juninho ?
Le plus fort, c'était Fleury. Y'a pas de match. En plus, il est de Gerland ! On va pas dire qu'un mec de Clermont ou un Brésilien sont plus forts que lui ! Di Nallo, c'est de symbole du club. Enfin, le plus fort que Lyon ait eu, c'était un autre...
Ah bon ?! Qui ?
(Il pèse ses mots) An-gel Ram-bert. Celui-là il était vraiment fort (attaquant franco-argentin, Angel Rambert a joué dix ans à Lyon, de 1960 à 1970 et a connu cinq sélections en équipe de France).
Pourtant il est moins coté que Combin par exemple.
Des Combin, il en avait deux dans les jambes ! Fallait voir les caviars qu'il donnait à Fleury. Rambert, il était terrible.
Toujours au début des années 1970, la défense de l'OL, par contre avec Baeza, Mihajlovic et Domenech, c'étaient des tueurs. Alors Domenech était-il si méchant que ça ?
Domenech, c'est un garçon que j'aime beaucoup parce que ça a été l'un des premiers footballeurs qui a eu son baccalauréat. Il était au lycée Ampère et menait les deux à la fois. Un tueur ? Sur le terrain. Mais dans la vie, il était charmant.
"Moi, je trouve qu'à Lyon, ils ont été des gros enculés avec Di Nallo. Et puis voilà, c'est tout. Il ne méritait pas ça. (...) Le tenter à piquer des sous dans la caisse..."
Puis en 1975, dans les années 1980, Di Nallo va avoir de gros soucis financiers et judiciaires et...
(Il coupe) Ah bon ? Je ne sais pas, ça...
... à ce moment là, vous l'appelez.
Je ne sais pas...
Mais il est quand même venu s'occuper du centre de formation à Montpellier. Vous lui avez tendu la main à ce moment là ?
Je ne sais pas, c'est possible...
On sent que vous ne voulez pas en parler. Par pudeur ?
Moi, je trouve qu'à Lyon, ils ont été des gros enculés avec Di Nallo. Et puis voilà, c'est tout. Il ne méritait pas ça. Comme c'était un joueur de casino, le tenter à piquer des sous dans la caisse, en laissant la porte du coffre ouverte... Des enculés, quoi. Mais il y en a qui existent toujours, ça leur portera malheur un jour...
Au final, vous restez encore supporter de l'OL aujourd'hui ?
Oui. C'est toujours le 2e résultat que je regarde après mon club. L'OL, c'est ma ville, mon club, toute ma jeunesse... L'OL, c'est l'OL.
Oui sauf que vous êtes président d'un club concurrent ?
Oui, on est concurrents, mais bon...
Et ça vous fait plaisir de battre Lyon ?
Ah, oui, oui, ça , je me branle ! Même si ça n'arrive pas souvent. Surtout à Gerland, où c'est arrivé seulement deux ou trois fois (Montpellier a gagné trois fois à Lyon. En 1997-1998, 1999-2000 et 2009-2010, à chaque fois sur le même score : 2-1).
Vous connaissez bien Aulas ?
Je l'ai surtout connu au bout de trois-quatre ans. Parce qu'au départ, c'était un garçon discret, timide, dans son coin. Bon, il y est pas resté longtemps dans son coin... Mais c'est un mec bien, hein.
Comment vous avez vécu la série des sept titres de l'OL ?
Je suis obligé de tirer mon chapeau à Aulas, on devrait lui embrasser les pieds tous les jours. Parce que les stéphanois, ils l'ont eu dans le trou du cul ! Et puis bien profond, hein !
C'est vôtre revanche de supporter qui a tant souffert dans le derby ?
Non, parce que le père Rocher (Roger Rocher, mythique président des Verts entre 1961 et 1982) était, pas un ami, mais... Son fils, Gérard, était un ami du cours Pascal. Et puis c'est moi qui ai toutes les collections de l'ASSE. Donc, quand je dis que je suis contre l'ASSE, oui comme ça. Mais j'aime les Verts quand même...
Vous avez assisté à des matchs de l'OL en Ligue des champions ?
Bah, je suis invité à chaque fois, mais j'y vais jamais. Ça me fait chier de monter là haut. Tu vas me dire, un coup d'avion, on y est vite. J'irai peut-être bientôt...
Pendant trois ans, Claude Puel a été très critiqué à Lyon, vous le connaissez ?
Oui, je le connais bien, parce qu’il fait partie du même club que moi, le Variétés (le Variétés Club de France rassemble des personnalités du foot français). Et ça a toujours été un garçon bien. Maintenant, moi je suis pas joueur de l'OL, ni président du club...
Et voir l'Olympique Lyonnais revenir en arrière en misant sur Rémi Garde et les jeunes, ça vous inspire quoi ?
Aulas copie un peu sur la Paillade... Il copie beaucoup sur la Paillade, Aulas !
Et il vous pique les filles aussi !
Ça, je m'en bats les couilles. Si ça le régale... Mais c'est pas lui, c'est jamais lui. C'est Faccioli (alors directeur administratif de l'OL) soi-disant à l'époque qui les avait piquées...
Planète Lyon n°10 - Automne 2011
Sacré Loulou!